Spécialiste et leader du transport et de la logistique de la pièce de rechange, Mohamed Salah Tarchalla affiche 44 ans d’expérience et manifeste une exigence sans concession envers lui-même et l’exercice de son métier, de ses métiers. Respectueux des valeurs intrinsèques de sa profession, il prône son indépendance, seule garantie pour exercer son activité en toute transparence et sans compromis. Echos.
Comment avez-vous commencé votre carrière dans le transport et la logistique ?
A 16 ans, j’ai commencé chez mon ex-patron, Monsieur Taoufik, qui était commissaire en douane et qui est aujourd’hui à la tête de General Transports International. Nous avons évolué jusqu’à l’ouverture de 1987, qui a levé le monopole d’Etat et ouvert les agréments. Nous avons été parmi les premiers à saisir cette opportunité en créant GTI un magasin cale avec un associé italien, Monsieur BONGIORNO, que je considère comme mon professeur, mon mentor et que j’appelle toujours aujourd’hui pour échanger nos points de vue ! Très rapidement, pour l’organisation du marché des pièces de rechange automobiles, notre activité était articulée autour d’un transporteur français, Monsieur MHiri (SMTS qui est devenu SITS) qui s’occupait aussi de l’Espagne, d’un transporteur italien, Monsieur BONGIORNO , et pour le marché allemand, on se partageait avec Militzer et Munch.
En 1995, J’ai quitté GTI pour fonder ma propre société à partir de zéro puis j’ai pris la société Navis pour le transport en Allemagne. Ce qui a rapidement conduit à constituer sur le marché de la pièce de rechange trois spécialistes, Monsieur BONGIORNO, Italie, SITS France et Navis Allemagne. Bien évidemment, chacun pouvait prendre un peu de l’autre et travailler dans les autres pays,mais nous avions notre marché privilégié. Petit à petit, nous avons assisté à de multiples bouleversements, des créations puis des fermetures, le marché s’avère très vivant !
Comment avez-vous pu rester indépendant, sans être racheté par un grand groupe international, en quête de sociétés comme les vôtres ?
Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué, sans compter les partenariats, associations, et autres participations que j’ai tissées tout au long de ma carrière, mais, au final, j’ai préféré rompre des accords qui ne me donnaient plus satisfaction pour pouvoir gérer comme je le souhaitais mon entreprise. J’ai quitté une direction commerciale pour créer ma propre entreprise afin d’être libre, je l’ai montée « avec la tête », en self made man, et en avançant petit à petit. Aujourd’hui, je dois être au plus haut des entreprises de transport avec quatre bâtiments dont le dernier compte 40 000 m², les magasins d’un côté, la logistique de l’autre, parce que les activités sont différentes. Chaque fois que l’on me l’a demandé, j’ai répondu que je ne pouvais pas vendre mon fils ! Je suis encore sollicité par un grand industriel de l’automobile qui souhaite externaliser sa logistique en travaillant avec moi, mais cela ne peut se faire parce que si je suis retenu, d’emblée, au niveau technique, les prix ne me conviennent pas. Je crains que même dans le transport, les gens ne calculent pas les prix comme il faudrait.
Pourquoi vos prix sont-ils plus élevés ?
Il suffit de faire un constat : comment voulez-vous que les prix du transport baissent alors que dans toutes les autres activités, les tarifs montent ? Si les prix du gasoil augmentent, si les charges en personnel augmentent également, vous devez monter les tarifs de votre client, c’est mécanique. Vous ne devez pas avoir peur d’augmenter votre client. C’est une grande règle de gestion qu’on a tendance à oublier dans l’économie d’aujourd’hui.
Vous vous définissez par totalement autonome, comment doit le comprendre ?
Avenir Service Transport est une société tunisienne qui m’appartient à 100 % et qui n’est l’agent de personne. En outre, j’ai mon équipement ici, mes bâtiments, mes remorques (environ 200), mes tracteurs, mes petits camions, et bien sûr mes clients ! C’est moi aussi qui paie les compagnies maritimes. C’est ce que je veux dire par autonome, c’est que je ne fais appel à personne pour effectuer mon travail. Je facture, encaisse et mes impôts ici en Tunisie, en toute transparence. Par ailleurs, j’ai ma société en Italie et un partenaire dans ce pays, une autre en France avec également un partenaire, et c’est la même chose en Allemagne. Il me semble important d’avoir un partenaire qui travaille dans son pays. Je suis un étranger en France, il appartient donc aux français de prendre les affaires en mains dans leur pays. Je ne peux ni ne veux faire le français en France, c’est pourquoi je donne les prestations à effectuer en France à des français. Pourtant, je travaille avec la France depuis des années, (je comptabilise 44 ans d’expérience !) je peux avoir mon passeport français, mes enfants y vivent et y ont fait leurs études. Cependant je reste persuadé que c’est celui qui y vit qui connaît mieux le métier. Et réciproquement ! Je ne tolèrerais jamais que le français vienne faire mon travail chez moi aussi. Mes confrères ont ouvert la porte, mais je reste sur ma position, que chacun fasse son travail chez lui, qu’il embauche des gens de son pays et tout se passera bien.
Précisons que parmi nos activités, nous avons les magasins cale et les magasins avancés (Nous avons demandé de nous expliquer la différence, ndlr) : le magasin cale est nécessaire aux importateurs pour le marché local. Ils doivent passer par un magasin cale pour dédouaner. Pendant que les marchandises sont dans le magasin, nous pouvons grouper ou dégrouper, préparer les expéditions et les clients peuvent venir chercher leurs marchandises après avoir dédouané, quand ils le veulent. Ils ne peuvent pas le faire au port. Quant au magasin avancé, c’est un magasin de logistique sous douane. On reçoit la matière première et on livre en flux tendu la chaîne de production en fonction de la demande, puis on récupère le produit fini et on exporte toujours selon la demande du client, c’est de la logistique pure et simple.
Qu’est-ce qui vous a attirés dans le marché de la pièce ?
Mon intérêt pour la PR est historique puisque j’ai travaillé comme collaborateur de Monsieur BONGIORNO qui était bien introduit auprès des équipementiers italiens et des importateurs tunisiens. Puis en tant que directeur commercial de GTI, j’ai connu les gens de Militzer & Munch qu’on a introduits nous-mêmes sur le marché tunisien de la pièce de rechange. Il est naturel que ce marché m’étant bien connu, on me fasse confiance dans ce milieu. De la même façon, je connais tout le monde et sais à qui faire confiance, ce qui m’a permis d’avancer rapidement sur ce marché.
Comment avez-vous vu évoluer ce marché de la rechange en Tunisie, on parle toujours de quatre ou cinq grands noms de la pièce ?
C’est un domaine qui demande de la patience, de la persévérance, de la passion et aussi des moyens financiers. C’est pourquoi, j’ai vu beaucoup de professionnels de la rechange ouvrir leur magasin, puis être obligés de fermer, laissant au final peu d’acteurs. Ce qui aboutit à un marché dominé par seulement quelques grandes structures. Il faut rappeler également que la fermeture de nombreuses entreprises a donné au marché tunisien une mauvaise réputation auprès des fournisseurs, qui exigent désormais des lettres de crédit, des garanties, des paiements à la commande, etc. Ce qui ne permet pas à de nouveaux acteurs d’émerger maintenant. Pourtant, un marché de la pièce de rechange doit avoir des strates, du petit distributeur jusqu’au grand importateur. Autrefois, un petit distributeur pouvait importer, ce n’est plus vraiment possible aujourd’hui. Même les équipementiers internationaux ont contribué à ce qu’il ne reste que quelques grands noms.
Est-ce que les importateurs se sont professionnalisés ?
Certains se sont professionnalisés, structurés de manière à travailler efficacement et dans les règles de l’art. On pourrait citer Monsieur Chaïbi, par exemple, qui a organisé ses sociétés avec des directeurs, des collaborateurs qui ont des responsabilités. Il ne se conduit pas comme un dictateur comme certains ici.
Vous êtes seul maître à bord, est-ce que vous souhaitez que l’un de vos enfants prenne la succession, un jour ?
J’aimerais que mon fils reprenne l’entreprise mais il fera ce qu’il voudra. Il faut juste qu’il me dise s’il est intéressé ou non – il a 27 ans et a fini ses études – et j’agirais en conséquence. S’il souhaite reprendre le métier de son père, il reprend l’entreprise, sinon, je vends et je leur laisse l’argent. Une société de service se fonde sur une personne à qui les clients font confiance, il faut donc que l’on ait envie d’apprendre et d’exercer ce métier pour inspirer confiance. Il ne s’agit pas simplement de dire que l’on devient patron du jour au lendemain. Mais ils sont libres, ses sœurs et lui. L’entreprise est en bonne santé et réalise 100 millions de dinars soit 33 millions d’euros, ici en Tunisie. Parmi ses clients, il y a Safran, Sagemcom, Macopharma (en Offshore), Henkel (en Onshore) et d’autres sont prêts à venir. C’est pourquoi, j’ai acheté un terrain de 40 000 m² pour pouvoir disposer d’un nouveau bâtiment afin d’accueillir des industriels qui cherchent à externaliser leur logistique ici. Ils ont d’ailleurs raison, car la logistique n’est pas leur métier et ils gagnent beaucoup à confier ce département à ceux dont c’est le métier. En faisant cela, certains pensent que cela leur coûtera moins cher que s’ils le faisaient eux-mêmes. Je préfère leur rappeler qu’ils devront payer un peu plus cher pour payer la prestation et surtout la place dans leur esprit pour pouvoir avancer et développer leur entreprise. Externaliser a un prix ne serait-ce que l’intérêt bancaire nécessaire aux installations que nous devons mettre en place pour être opérationnel !
Quels sont les atouts différenciateurs de votre société, justement ?
Lorsqu’un nouveau client se présente, j’investis comme il faut. Si je dois construire un bâtiment, je fais en sorte qu’il soit là pour durer et je mets tous les moyens nécessaires pour que le travail que nous effectuons pour notre client soit irréprochable. Par ailleurs, mon indépendance me permet d’être beaucoup plus réactif parce que je prends des décisions rapidement. Si j’ai un problème, je le résous seul et vite, sans passer par des institutions et ce que je gagne en liberté, mes clients le gagnent en service. Même si je suis un peu plus cher. Cette liberté me permet de faire des choix stratégiques ; C’est ainsi que sur la plateforme je vais prendre 1500 palettes pour un client, 1500 pour un autre et 3500 pour un troisième. Je pourrais ne prendre que l’un d’entre eux qui souhaite me donner 5000 palettes mais en ce cas je deviendrais trop dépendant, et ce serait dangereux pour l’entreprise. Nous sommes confrontés à une vraie problématique de disponibilité et de place actuellement parce que la plupart des grands équipementiers présents au Maroc , et il y en a beaucoup, veulent externaliser la logistique pour gagner de la place pour leur production et installer d’autres équipements, d’autres machines. On revient à une certaine logique où les équipementiers produisent leurs pièces et les sociétés de transport et de logistique transportent les marchandises, organisent les dédouanements et effectuent toutes les opérations de logistique. De notre côté, pour être plus simple, nous réalisons toutes les opérations en termes de logistique off-shore (sous douane) et on shore (sous douane) et on fait le transport international dans tous les sens du terme et avec 200 remorques, nous sommes aussi consommateurs de pièces ! Nous réalisons bien sûr les étiquettes – nous faisons le 5 PL ! et nous avons, je crois, le meilleur logiciel de logistique et de DMS. Nous travaillons de manière ultra moderne. Pourquoi des fabricants de pièces perdraient leur temps à effectuer ces opérations en interne !
Chaque pays durcit les conditions d’entrée et de sortie du territoire des pièces de rechange, édite de nouvelles réglementations pour lutter contre les contrefaçons et autres escroqueries, comment êtes-vous impactés par ces dispositions ?
En Tunisie, nous observons les mêmes normes de contrôle et de sécurité qu’ailleurs même si nous devons regretter un certain relâchement de l’administration ces dernières années, relâchement qui devrait bientôt prendre fin, si j’en crois les dernières déclarations officielles. Si l’on applique la loi sans excès de zèle, je crois que nous sommes le pays qui est le plus favorable pour des investisseurs, notamment pour l’Europe. Nos procédures administratives douanières, par exemple, sont bien plus simples et claires que chez notre voisin marocain. Dans la mesure où vous respectez la règle et que vous acceptez le contrôle, vous pouvez travailler en toute sérénité, c’est précieux ! J’ajouterais que si on le demande, l’administration des douanes travaille la nuit et les dimanches chez vous pour ne pas faire perdre du temps aux entreprises et cela est rendu possible grâce à la simplification des procédures. Si vous voulez commencer à 5 h du matin, vous pouvez le faire, il suffit de le demander et les douaniers sont là mais les gens n’en profitent pas suffisamment. Peu de pays peuvent, pourtant, s’enorgueillir d’avoir une administration qui accompagne les entreprises à ce point !
Propos recueillis par Hervé Daigueperce