De l’art de faire du e-commerce

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Le e-commerce est devenu un canal de distribution à part entière, y compris pour les professionnels de l’automobile. Mais devenir acteur du e-commerce lorsque le métier traditionnel de la distribution de pièces de rechange exige données techniques et logistique n’est pas simple. Les équipementiers entrent alors dans la danse.

Dans son étude « Quel avenir pour l’après-vente automobile ? » réalisée en avril 2018, le cabinet Deloitte faisait un constat sans appel : « Avec l’essor d’internet, les consommateurs sont de plus en plus souvent tentés ou encouragés d’utiliser le canal digital pour leurs achats et le marché des pièces de rechange automobiles ne fera pas exception à cette règle. En effet, même si la plupart des achats se font en offline, plus de 7 conducteurs sur 10 initient leurs achats en ligne. En ce qui concerne le B2C, l’émergence du Do It Yourself (DIY) et du Do It For Me (DIFM) ne fera qu’amplifier ce phénomène. En 2022, la part de marché B2C en ligne des pièces de rechange automobiles atteindra les 20 %, avec une croissance estimée à 10-15 % par an sur le marché américain et en Europe de l’Ouest, selon l’étude une Frost & Sullivan.  (…) Les nouveaux entrants, non constructeurs, ont déjà pris une part importante exploitant les tendances digital et DIY : aux États-Unis, Amazon et eBay comptent à eux seuls 70 % des pièces de rechange vendues en ligne (valeur estimée entre 7 et 7,5 milliards USD) ». Si cette étude fait une photographie de la transformation digitale du marché de la distribution de pièces de rechange avant la pandémie mondiale, il y a fort à parier que, depuis, les choses se soient accélérées. Car à l’instar du consommateur lambda, les professionnels de la réparation se tournent de plus en plus souvent vers les sites de e-commerce pour effectuer leurs achats de pièces. De fait, les acteurs de la distribution et les importateurs sont de plus en plus nombreux à céder aux sirènes du e-commerce. Mais d’un bout à l’autre de la planète, les procédés employés sont parfois aux antipodes : l’un préférant faire appel aux marketplace orientées à la fois BtoB et BtoC, l’autre optant davantage pour des plateformes plus « intimistes » exclusivement tournées vers les professionnels. Deux regards qui s’opposent mais une seule question sous-jacente : cet essor du e-commerce dans la distribution de pièces de rechange automobiles finira-t-il par sonner le glas des relations traditionnelles entre le fournisseur et ses importateurs ?

Marketplace…ou pas !

Soyons clairs : les marketplace prennent un véritable ascendant en matière de e-commerce et les pièces de rechange n’échappent pas à la règle. D’après le cabinet d’analyse Roland Berger, la distribution BtoB représenterait, en 2020, 38 % de l’activité des Marketplace au niveau monde. Et déjà, en 2019 – avant que la Covid ne vienne booster l’ensemble du e-commerce, donc – la catégorie « Opération de maintenance et réparation » d’Amazon Business rassemblait quelques 174 000 vendeurs dans le monde, et 58 000 pour la catégorie « Automotive ». De fait, pour Philippe Astier, Marketing et Communication Manager Europe du Sud chez Delphi Technologies by BorgWarner : « Certains de nos clients ont envie de se digitaliser et d’apporter une valeur ajoutée différenciant sur leurs régions donc ils se mettent en relation avec des marketplace. Nous avons aussi des acteurs qui créent leurs propres Marketplace avec des fournisseurs indépendants. Certains se sont positionnés sur le sujet il y a 15 ou 20 ans mais il y a de plus en plus d’acteurs entrants. L’autre cas de figure, c’est celui qui a un seul stock et qui crée une plateforme via les marketplace. C’est un phénomène plus récent mais cela va grandir car cela amène plus de visibilité et, par ricochets, une clientèle différente. L’objectif est notamment de cibler le BtoC, par exemple sur la plaquette de frein, car après les pneus et les essuie-glaces, c’est un produit pertinent pour les propriétaires de véhicules âgés où il y a encore beaucoup de DIY. Donc la marketplace est vraiment un sujet à la mode ». Et il suffit de voir, en occident, les succès de la Marketplace d’Aniel ou encore les velléités des marketplace « spécialistes » à vouloir se diversifier, comme 07ZR, spécialiste du pneumatique qui propose désormais aussi de la pièce de rechange, ou à l’inverse Vroomly, spécialiste de la pièce, qui va proposer du pneu ! 

En Orient et, pour ce qui nous occupe, au Maghreb, l’usage de la Marketplace par les importateurs est loin d’être aussi évident. Pour Gilbert Soufflet, Responsable Communication et Événements de ZF Aftermarket France sas : « TRW est très implanté en freinage au Maghreb or, l’évolution sur le e-commerce y est complexe. Du coup, au niveau des importateurs, l’évolution n’est pas identique chez les uns et chez les autres. Certains sont encore très traditionnels et d’autres sont très modernes et très intégrés sur l’informatique et le e-commerce. Ainsi, le e-commerce tel qu’on le connaît en France n’est pas le même. Par exemple, Amazon, eBay et Ali Express sont peu présents car au Maghreb la confiance dans le garagiste est encore très forte et il n’y a pas de fichier AAA permettant d’identifier les pièces. Donc c’est complexe pour une marketplace d’arriver avec une offre fiable pour les automobilistes qui, en plus, font peu de DIY. Et puis il y a des contraintes liées aux droits de douane par exemple, des frais d’approche. En revanche, une plateforme se développe beaucoup auprès de sociétés comme Fidelium AD ou Copima qui ont investi beaucoup dans des sites en ligne mais uniquement destinés à une clientèle BtoB. Il y a d’ailleurs eu une nette accélération de tout cela avec la Covid et ces sites se sont beaucoup développés. Donc les entreprises, au premier rang desquels les gros distributeurs-stockistes, entrent de plus en plus dans le e-commerce mais orienté vers le BtoB, d’autant qu’au Maghreb, le paiement en ligne n’est pas très naturel ».

Bref, quel que soit le modèle choisi, si, sur le papier, céder au e-commerce semble alléchant et plutôt facile à mettre en œuvre, dans les faits, les écueils sont encore nombreux : difficulté à bien référencer la pièce, logistique, gestion des conséquents taux de retours, absence de hotline technique… D’où l’importance, pour les équipementiers d’accompagner les acteurs qui se lancent dans ce canal de distribution d’un nouveau genre.

Les fournisseurs en back-office

Car, c’est un fait : devenir un acteur du Web ne s’improvise pas ! Pour aider leurs distributeurs et importateurs à faire leur place dans le vaste monde du e-commerce, les équipementiers sont sur le qui-vive. Premier levier d’activation : le référencement et les données techniques. On le sait, en matière de freinage – et pas uniquement d’ailleurs – les références de produits sont nombreuses, très nombreuses. Or, pour qu’un client puisse trouver la bonne pièce sur la Toile, le e-commerçant doit impérativement travailler son référencement. Certes, la plupart des acteurs présents sur les marketplace auront tendance à « aspirer » les données de bases de données telles que Tec Doc, mais cela ne suffit pas. « Lorsque l’un de nos distributeurs décide de vendre des pièces de freinage Delphi sur une Marketplace, nous l’aidons à peaufiner ses données en termes d’applications, de méthodes de montage, de données techniques. Nous intervenons donc en partie tierce et c’est souvent de cette manière que cela fonctionne avec des autres marques », explique Philippe Astier. D’ailleurs, le Groupe ZF, lui aussi, accompagne ses clients sur le Web en termes de données techniques, comme l’explique Gilbert Soufflet : « Nous réalisons avec ces clients-ci un accompagnement sur-mesure en fonction de la problématique des uns et des autres ou tout simplement, nous les aidons à se connecter sur Golda et sommes dans le partage de bases de données. Nous favorisons au maximum les interactions avec nos outils informatiques ». 

Deuxième levier d’accompagnement actionné par les équipementiers : la logistique. Et pour cause. Celui qui se lance dans une marketplace ne stocke pas de produits. C’est d’ailleurs l’un des principaux avantages de ce modèle de e-commerce : pas d’immobilisation de stocks, des pièces qui sont achetées uniquement lorsqu’elles sont vendues ce qui, du même coup, n’immobilise pas de trésorerie non plus, et un catalogue de pièces en vente quasi infini ! Le revers de la médaille c’est que multiplier les références sans les avoir sous la main et donc, dépendre d’un tiers pour les délais de livraison peut vite devenir problématique, surtout pour des clients professionnels de la réparation que les immobilisations de véhicules n’enchantent guère. Et d’autant plus quand la pièce commandée est une pièce de freinage de grande vente. « De fait, lorsqu’un distributeur met en avant des pièces Delphi sur sa Marketplce, nous en assurons la logistique », souligne Philippe Astier. 

Pas de contreparties financières, mais un lien renforcé

Résumons : le distributeur/importateur se lance de le e-commerce, il vend sur Internet des pièces d’équipementiers reconnus afin de capter plus de clients, tant professionnels que particuliers, et pour l’y aider, ledit équipementier déploie pour lui tout son savoir-faire technique et logistique… Bien. Mais qu’à t’il concrètement à y gagner ? En réalité, dans la course à l’e-commerce, en matière de pièce de rechange automobile en tout cas, il n’existe pas vraiment de liens contractuels entre le distributeur nouvel entrant du Web, et l’équipementier. « En fonction du prorata de chiffre d’affaires qu’ils font avec nous, évidemment, la marque sera plus visible et plus voyante mais nous ne décidons rien, c’est le client qui est maître sur le sujet. Certes, il n’y a pas de liens contractuels quand nos clients se lancent sur le sujet de l’Internet. Mais nous sommes davantage dans une démarche de partenariat et de relation à long terme. Lorsque nous les aidons dans leur développement, généralement, ils s’en souviennent, et même s’il n’y a pas d’engagement financier, ils vont mettre en avant la marque. Donc les fruits, finalement, nous les récoltons sur une relation de confiance », estime Philippe Astier. Idem pour ZF qui estime que ce qu’il a à gagner à accompagner ses clients dans cette démarche est une souplesse dans leur relation. « Aujourd’hui, de manière générale, nos clients importateurs passent une commande par mois et font du stockage, voire du sur-stockage. En Tunisie, nous faisons également du dépannage entre deux commandes mensuelles. Or, comme nous étions dans une relation de proximité à la base, nos clients aujourd’hui ont accès à une information plus rapidement donc ils sont moins tributaires de notre présence. Mais tout en leur fournissant un service de qualité, un accès plus simple aux informations, aux préconisations de stocks, nous renforçons cette relation de confiance et leur envie d’être plus efficient au quotidien et sur le long terme. Aujourd’hui les nouvelles générations sont dans l’efficacité et elles apprécient qu’on leur donne accès à nos bases de données ou à des outils comme e-business Tool Box, pour être plus efficaces encore », précise Gilbert Soufflet.

La fin des traditions ?

Reste que si les équipementiers capitalisent sur cette « relation renforcée » entre eux et les importateurs, quid des relations traditionnelles entre les uns et les autres ? A terme, lesdits importateurs, une fois bien installés dans leur rôle de e-commerçants, nouveaux hérauts des marketplace, auront-ils à cœur de continuer à travailler en direct avec les équipementiers pour continuer de faire de la distribution de pièces… comme avant ? Pour les équipementiers, à date, cette interrogation-ci est un non sujet. Et pour cause : « Les importateurs auront toujours la garantie et les avantages de travailler avec nous en direct : nos conditions d’achat, les franco de port, de la garantie, les services client et un SAV plus précis…ce que n’ont pas les marketplace. De plus, nous connaissons leur marché, les pièces avec lesquelles ils ont l’habitude de travailler. Et ils n’ont pas le même niveau de relation client avec les marketplace, c’est évident. Donc, pour résumé, cela leur donne une visibilité plus importante, mais pour au moins les 5 à 10 ans à venir, la relation traditionnelle entre importateur et fournisseur sera toujours importante. Après le nerf de la guerre aujourd’hui c’est la logistique. Lorsque l’on parle à des clients finaux, sur certaines choses, pour un prix compétitif ils peuvent attendre, mais un garage, c’est un luxe qu’il ne peut pas se permettre donc il va plutôt se tourner vers le distributeur traditionnel », explique Philippe Astier. Une vision très largement partagée par ZF qui estime que la relation commerciale entre les deux parties restera essentielle : « La priorité de nos clients, c’est de gérer leur business sur l’informatique, et pour ceux qui sont passés à l’e-commerce cela leur a clairement permis de se tenir à flot pendant la pandémie. Donc pour moi c’est quelque chose qui va encore se développer. Nous sommes simplement entrés dans un autre style de relation », précise Gilbert Soufflet. 

Reste que les équipementiers eux-mêmes sont parfois tentés d’investir le terrain des marketplace. A l’instar de Delphi qui teste actuellement, sur la France, la vente de plaquettes de frein sur Amazon en tant que Delphi Officiel. Une manière de maitriser au maximum les nombreux problèmes de contrefaçon présents sur ce type de sites et de cibler les petits garages et les fans du DIY, tout en restant garant de ses marges et de la qualité de ses produits. Des pièces qui, pour ceux qui se poseraient la question d’une concurrence exacerbée avec ses clients distributeurs, sont vendues 30 à 40 % plus chères pour éviter de substituer sa chaîne de distribution traditionnelle au géant carnassier du e-commerce.

Hervé Daigueperce
Hervé Daiguepercehttps://www.rechange-tunisie.com
Rédacteur en chef d'Algérie Rechange, de Rechange Maroc, de Tunisie Rechange et de Rechange Maghreb.

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